Petit-Frère capture le soleil
Au commencement, quand la terre était nouvelle,
c'étaient les animaux qui dominaient.
Plus puissants que les humains,
c'est eux qui les chassaient, les tuaient et les mangeaient. Ils avaient fini par les tuer tous, sauf une fillette et son petit frère, qui vivaient cachés.
Le petit frère était minuscule, pas plus grand qu'un nouveau-né, tandis que sa soeur était de taille normale. Comme elle était beaucoup plus grande, elle prenait soin de lui et s'occupait de tout.
Un jour d'hiver, la soeur devait aller au bois cueillir des baies sauvages. Pour occuper son petit frère pendant son absence, elle lui prêta son arc et ses flèches.
"Tiens-toi caché, et quand tu verras un oiseau des neiges, attends qu'il se mette à chercher des vermisseaux dans ce gros arbre mort, et là, tu le tueras d'une flèche."
Et elle s'en alla.
Un oiseau des neiges apparut,
mais les flèches de Petit-Frère le manquèrent. "Qu'importe, dit la soeur en revenant de la forêt, tu essaieras de nouveau demain."
Le lendemain elle partit dans les bois.
L'oiseau revint, et cette fois la flèche du petit garçon l'atteignit et le tua. Quand sa soeur revint le soir, il exhiba fièrement son oiseau.
"Ma soeur, dit-il, je veux que tu dépouilles cet oiseau, et que tu mettes la peau à sécher. Je vais en tuer d'autres, et quand nous en aurons assez, tu me feras un manteau de plumes avec toutes ces peaux.
- Mais qu'allons-nous faire de la chair ?" demanda la jeune fille.
En ce temps-là, en effet, on ne mangeait que des baies et des plantes, car les humains ne chassaient pas ; c'étaient, je vous l'ai dit, les animaux qui chassaient.
"Nous en ferons un bouillon", répliqua Petit-Frère,
qui était intelligent malgré sa petite taille.
Et, dix jours de suite, il tua chaque jour un oiseau des neiges, et sa soeur lui fit un beau manteau de plumes avec les peaux séchées.
Un jour, il questionna sa soeur :
"Ma soeur, y a-t-il d'autres humains dans le monde, ou sommes-nous les seuls ?
- Il y en a peut-être d'autres, mais ce ne serait pas prudent d'aller à leur recherche. Il y a des animaux redoutables qui nous prendraient en chasse et nous tueraient."
Mais Petit-Frère demeurait dévoré de curiosité.
Aussi, quand sa soeur partit à nouveau chercher à manger dans la forêt, il s'en alla lui aussi,
voir s'il trouvait d'autres humains.
Il marcha longtemps, mais sans rencontrer
ni animaux ni humains.
A la fin, épuisé, il s'allongea à un endroit où le soleil avait fait fondre la neige. Pendant qu'il dormait, le soleil prit de la hauteur et lui décocha des rayons ardents. A son réveil, il découvrit que son beau manteau de plumes avait rétréci au soleil et qu'il ne pouvait plus bouger.
Il dut le déchirer pour se mouvoir.
Dépité, il menaçait le soleil du poing :
"Tu me le paieras, soleil ! Tu te crois hors d'atteinte parce que tu es là-haut. Attends un peu. Tu m'entends ?"
Petit-Frère rentra, désolé et furieux à la fois.
En pleurs, il raconta à sa soeur comment son manteau de plumes s'était déchiré. Dix jours durant il resta allongé sur son flanc droit, refusant de boire et de manger.
Puis, toujours jeûnant, il resta dix autres jours sur son flanc gauche. Au bout de vingt jours, il se leva et dit à sa soeur de lui fabriquer un piège pour attraper le soleil.
Il ne restait à sa soeur qu'un morceau assez court de tendon de cerf séché, et elle en fit un noeud coulant.
"Je ne peux pas attraper le soleil avec un collet si petit", protesta-t-il.
Sur quoi, sa soeur, prenant de sa chevelure, lui tressa une cordelette, mais il dit :
"Ceci n'est pas assez long ni assez solide.
- Alors, dit-elle, il faut que je te fasse ce lacet à l'aide de choses secrètes."
Elle alla dans les bois recueillir quantité de choses secrètes et les fila en une corde solide.
"Ah, voilà mon lacet !" s'écria Petit-Frère, dès l'instant qu'il vit le résultat. Pour l'assouplir, il le passa entre ses lèvres plusieurs fois, ce qui le rendit plus long et plus résistant.
Puis Petit-Frère attendit le milieu de la nuit, le moment le plus ténébreux. Là il sortit, trouva le trou d'où le soleil émergerait à son lever et disposa son lacet autour.
Quand le soleil arriva à son heure habituelle, il se trouva pris et solidement ligoté. Il n'y eut pas de jour ce jour-là. Pas de lumière, pas de chaleur.
Les animaux avaient beau régner sur la terre, avoir tué et mangé tous les humains, ils n'en prirent pas moins peur. Ils convoquèrent un conseil de tous leurs anciens, où l'on palabra longtemps. A la fin, il fut décidé que le plus gros, le plus redoutables des animaux serait envoyé pour ronger le lacet qui entravait le soleil.
On désigna donc le loir, qui n'était pas petit comme de nos jours, mais énorme comme une montagne.
Cependant le loir, malgré sa taille, avait peur du soleil : "Ce que vous me demandez est très dangereux, dit-il, mais j'accepte le risque."
Loir se dirigea vers l'endroit où se lève le soleil et trouva celui-ci pris au collet. A force de se débattre et de se démener, le soleil s'était encore échauffé.
Quand Loir s'approcha, le pelage de son dos se mit à fumer et à brûler, mais malgré cela il se recroquevilla et entreprit de grignoter le piège.
Il rongea, rongea longtemps, et puis finit par couper le lien.
Le soleil, enfin libre, reprit aussitôt sa course et illumina toutes choses. Mais sa chaleur avait ratatiné Loir à la taille qu'il a aujourd'hui, et ses rayons l'avaient rendu presque aveugle. C'est pourquoi on lui donna la nom de Kug-e-been-gwa-kwa, la Vieille-Aveugle.
Ainsi le vaillant Loir avait libéré le soleil, mais chacun désormais savait en son coeur que l'être le plus intelligent en ce monde, et le plus puissant, était Petit-Frère, qui avait su piéger le soleil. Depuis ce jour, ce sont les humains qui dominent sur terre, qui sont les chasseurs et non plus le gibier.